Nicolas Bay, député européen et vice-président exécutif de Reconquête !, revient d’un déplacement en Irak auprès des minorités Chrétiennes. Pour Valeurs actuelles, il alerte sur l’abandon des minorités locales par Bagdad, face à la pression de l’islam radical.
En 2017, après trois ans d’occupation synonyme d’exil forcé pour les minorités d’Irak, l’État islamique était vaincu. Après les crimes, les destructions, les autodafés et les exécutions de masse commis par Daesh contre les minorités ethniques et religieuses, des questions persistent : comment reconstruire une vie sur un tas de cendres ? Dans quelle Irak sont-elles revenues et essayent-elles à nouveau de vivre — quand elles ont pu le faire ?
Une destruction des peuples
Dans la lignée de mes déplacements en Arménie et au Kosovo aux côtés des chrétiens qui résistent, et à l’invitation de l’ancien ministre Yonadam Kanna, chef du parti assyrien d’Irak, je me suis rendu ces derniers jours à Erbil, à Mossoul et dans la plaine de Ninive, au nord-ouest du pays, pour comprendre. Comprendre ce que ces ethnies minoritaires ont traversé et ce qu’elles subissent encore aujourd’hui, abandonnées par la communauté internationale, livrées à elles-mêmes face aux manœuvres de l’Iran chiite et à un pouvoir central à Bagdad qui oscille entre impuissance et méfiance, voire hostilité, à l’égard de ces populations.
Il est bien loin l’émoi international légitimement suscité par les images de Daesh paradant dans les rues de Mossoul en juin 2014 avec son cortège d’abominations. À l’époque, l’Occident parlait d’une voix unique et forte. Il était prêt à lutter contre l’État Islamique. Il l’a fait d’ailleurs, et notre pays n’a pas été en reste. Tous mes interlocuteurs ont témoigné leur reconnaissance envers la France qui a, d’une manière ou d’une autre, aidé ceux qui combattaient ou fuyaient l’État islamique dans le nord de l’Irak. Mais un silence assourdissant est depuis retombé sur les douleurs quotidiennes des minorités chrétiennes dans la région.
Dans les années 1980, les chrétiens, composés notamment des chaldéens et des syriaques catholiques et orthodoxes, étaient environ un million en Irak. Ils seraient aujourd’hui 500 000, représentant à peine 1 % de la population irakienne. Cette baisse considérable s’est accélérée dans les années 1990 et n’a fait qu’empirer après la chute de Saddam Hussein en 2003. La cité assyrienne de Qaraqosh (ou Bakhida), plus grande ville chrétienne située dans la plaine de Ninive au Nord de l’Irak, à une trentaine de kilomètres de Mossoul, s’était presque vidée de ses 50 000 habitants qui ont fui Daesh en août 2014. Depuis sa libération en octobre 2016, un peu plus de la moitié d’entre eux seulement sont revenus de la province du Kurdistan dans laquelle ils avaient trouvé refuge.
Ils ont retrouvé leurs églises et monastères détruits, leurs maisons pillées, leurs proches qui n’avaient pas pu fuir convertis de force. « Mes lèvres disaient la chahada, mais mon cœur priait le chapelet », raconte cette femme qui a, dès que possible, imploré l’absolution de celui qui est, depuis, devenu Monseigneur Najeeb, archevêque de Mossoul. Lui qui avait déjà dû quitter sa ville natale en 2007, menacé par des islamistes ayant inscrit son nom sur une liste de cibles à abattre, a dû la fuir à nouveau face à l’avancée de Daesh. Mossoul avait été rapidement prise grâce à l’accueil favorable d’une partie de la population sunnite. Mgr Najeeb est parti au dernier moment, emportant avec lui près de 800 manuscrits anciens écrits en araméen et en syriaque, les sauvant in extremis de la destruction.
Un exil qui persiste
Beaucoup d’autres chrétiens n’osent pas revenir tant les équilibres politiques et communautaires ont été bouleversés par l’irruption et le reflux de l’État islamique. J’ai pu assister à une tentative de coup de force des milices chiites voulant remplacer les forces chrétiennes locales et prétendant agir au nom du gouvernement pour prendre le contrôle de la plaine de Ninive. Durant les trois heures de négociations tendues qui s’en sont suivies entre chrétiens d’une part — soutenus par la population massée devant le palais épiscopal —, miliciens chiites d’autre part, et des représentants du gouvernement central de Bagdad dépêchés en urgence sur place, j’ai vu de mes yeux comme l’autonomie et la sécurité des chrétiens tenaient à un fil. Uniquement à leur volonté, à leur combativité, à leur désir ardent de vivre comme leurs ancêtres sur leur terre. « C’est notre quotidien », m’a confié avec un sourire à la fois amer et plein d’espérance, l’évêque des chrétiens syriaques de Qaraqosh. Deux jours après mon départ, sept chrétiens étaient enlevés dans les environs. Personne ne sait où ils sont.
La haine et les atrocités commises par l’État islamique ont pris des formes très diverses. Ainsi, le monde entier a été choqué par les images du musée de Mossoul, dont toutes les pièces ont été détruites à la masse ou à l’explosif. J’ai pu m’y rendre et constater le désastre. Des trésors uniques de la civilisation assyrienne ont été réduits à l’état de cailloux car, pour Daech, « les fausses idoles doivent être détruites ». Des experts français, mandatés par le Louvre, coordonnent patiemment les restaurations dans le musée de Mossoul, sachant que de nombreuses œuvres du patrimoine de l’humanité sont perdues à jamais. Dans le même temps, des ONG, telles SOS Chrétiens d’Orient, mènent un combat patient et admirable de générosité en aidant à la reconstruction des églises, des logements, et à l’éducation des enfants.
Les Yézidis sont peut-être la communauté qui a été la plus meurtrie. Cette ethnie kurde pratique l’une des religions les plus anciennes de la Mésopotamie, ce qui la rend suspecte, objets de tous les fantasmes… et cibles de persécutions incessantes. Ils seraient environ 400 000 aujourd’hui en Irak. Les soldats du Califat ont méthodiquement massacré 12 000 d’entre eux, principalement dans la province du Sinjar que les Yézidis ont dû fuir en masse et n’ont toujours pas repeuplée. 7000 personnes sont encore portées disparues et environ 3000 femmes et adolescentes seraient toujours détenues comme esclaves sexuelles. Dans cette région où plongent leurs profondes racines, dont Lalesh est la ville sainte, l’État islamique s’est attelé à embrigader les enfants yézidis dès leur enfance pour éliminer toute attache identitaire et en faire des enfants-soldats. S’ils sont protégés par les peshmergas du Kurdistan, le gouvernement de Bagdad ne fait en revanche aucun geste pour eux. Il n’aide pas beaucoup plus les chrétiens.
Un avenir incertain
Aujourd’hui, après 20 ans de conflits et de guerre, conséquences de l’intervention américaine de 2003 qui a provoqué le chaos au prétexte de vouloir installer une démocratie libérale, l’islam est toujours une religion d’État en Irak. L’article 1er de la constitution dispose qu’aucune loi ne peut contrevenir aux principes de la charia. L’article 2 prétend certes donner des garanties aux minorités religieuses, mais tout le monde sait ici, qu’en cas de conflit, la charia a la préséance. Un exemple pour l’illustrer : un projet de loi est à l’étude pour interdire totalement la vente d’alcool sur l’ensemble du territoire irakien. Il s’agirait non seulement d’une mesure discriminatoire ciblée, le secteur étant économiquement important pour la communauté chrétienne, mais aussi d’une atteinte délibérée à la liberté de culte puisque le vin liturgique est une absolue nécessité pour célébrer la messe. Les persécutions, certes d’une autre nature, continuent donc.
La survie des minorités d’Irak est désormais en jeu. Ces peuples historiques, présents bien avant l’émergence de l’Islam, semblent aujourd’hui menacés de disparaître du Proche et du Moyen-Orient. Pendant des siècles, la France a été la protectrice des chrétiens d’Orient. C’est le rôle que devrait aujourd’hui assurer une Europe civilisationnelle consciente de ses racines et de son devenir, par solidarité envers ces populations que le monde oublie. Vingt fois, sur place, ils nous l’ont dit avec sincérité : ils ne veulent pas d’argent, ils ne veulent pas émigrer chez nous. Ils ne cherchent qu’un soutien, une protection de la part de nos nations et des institutions européennes afin d’assurer la reconstruction de leurs villes, le retour des déplacés et la restauration du patrimoine saccagé par les islamistes.
Ici, au pays des deux fleuves, comme au Kosovo et en Arménie, les communautés chrétiennes et Yézidis peinent à se réveiller de ce cauchemar qui a déjà trop duré. Elles ne veulent qu’une chose, la même que nous d’ailleurs : vivre en paix et en sécurité sur la terre de leurs ancêtres. Il faut les y aider.