Traité UE-Mercosur : l’Europe doit choisir son destin 

Par Nicolas Bay dans Le Nouveau Conservateur

Le 6 décembre 2024, malgré l’opposition formelle de plusieurs pays, dont la France et la Pologne, ainsi que les importantes réserves de l’Italie, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, se rendait à Montevideo en Uruguay, pour signer le traité avec les pays du Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay et Uruguay). Vingt-cinq ans après le début des négociations, ce traité de libre-échange géant, qui constituerait la plus importante zone sans droits de douane du monde, est sur le point d’entrer en vigueur. 

Von der Leyen a fait le choix, prévisible, de sacrifier l’agriculture européenne pour vendre des voitures allemandes. L’accord doit toutefois être ratifié par les États membres. Il est donc encore temps de faire échouer ce projet : c’est la survie de notre agriculture, la santé de nos peuples, et notre souveraineté alimentaire qui sont en jeu.

Une concurrence accrue pour un gain négligeable

Ce traité commercial prévoit l’élimination de plus de 90% des protections douanières mises en place par l’UE, exposant nos producteurs à une concurrence déloyale. À titre d’illustration, 99 000 tonnes supplémentaires de bœuf pourraient entrer en Europe chaque année, s’ajoutant aux près de 200 000 tonnes importées des États membres du Mercosur en 2023, soit plus de la moitié des importations totales de viande bovine. Pour la seule production d’aloyau, la partie la plus prisée du bœuf, ce nouveau contingent doublerait presque les importations et atteindrait ainsi jusqu’à 50 % du marché. Et, en parallèle, la production de viande bovine en Europe risque de décliner progressivement, selon une étude d’impact publiée par la Commission elle-même. Tout ceci sera encouragé par un tarif préférentiel de 7.5% de droits de douane pour l’importation de bœuf, alors que les droits sont actuellement fixés à 40%.

Le danger qui guette nos producteurs nationaux est indéniable : les coûts de production des élevages du Mercosur sont en moyenne 40% inférieurs à ceux des élevages européens. Ce chiffre augmente à 60% si on compare nos exploitations aux fermes brésiliennes. Rien d’étonnant donc à ce que le Brésil et l’Argentine soit respectivement les 1ers et 5èmes exportateurs mondiaux de viande rouge ! 

Il en va de même pour l’importation de volaille. 180 000 tonnes supplémentaires se cumuleront bientôt aux centaines de milliers de tonnes déjà en provenance du Brésil, 3ème producteur mondial de poulet. Comme le souligne très justement le président de l’association ANVOL, Jean-Michel Schaeffer : « Aujourd’hui, un quart des filets de poulet consommés en Europe sont importés. Ce projet viendrait porter le coup de grâce à une filière déjà inondée. »  La filière du sucre sera également une grande perdante. Le Brésil étant le 1er producteur de canne à sucre, une forte hausse des importations d’éthanol et de miel sera inévitable. De même, le secteur rizicole se verra submergé par l’importation de 45 000 tonnes de riz supplémentaires. Les secteurs du maïs et du porc ne seront pas épargnés.

À l’heure où un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, les bureaucrates de Bruxelles ne sont même pas capables d’annoncer avec certitude un gain économique significatif en contrepartie des efforts surhumains qu’ils demandent à nos producteurs. En effet, selon les estimations, l’accord ne générerait en UE que 0,1% de croissance supplémentaire à l’horizon 2032. Est-ce cela, la « mondialisation heureuse » dont parlent nos élites ? Sommes-nous prêts à mettre en danger notre filière agricole, nos terroirs, nos savoir-faire ancestraux pour un incertain 0,1 % de croissance supplémentaire ? 

Les enjeux sanitaires et écologiques

L’accord est également dangereux pour nos consommateurs et profondément injuste pour nos producteurs qui sont soumis à une réglementation draconienne, à des normes sanitaires et environnementales de plus en plus intransigeantes. L’importation et l’utilisation de certains produits dangereux pour les consommateurs ou l’environnement est interdite au sein de l’UE. Or, les systèmes de traçabilité tout au long de la chaîne de production sont bien moins développés dans les pays du Mercosur qu’en Europe ; les « clauses miroirs », censées garantir une réciprocité des normes, ne seront qu’une chimère tant que l’on n’augmentera pas les contrôles des importations.

L’UE interdit, par une directive de 1981, l’utilisation d’hormones de croissance et d’antibiotiques afin de favoriser le développement des animaux ; ces produits ont pourtant été retrouvés en Europe dans de la viande sud-américaine il y a quelques mois à peine. Cette défaillance des contrôles est reconnue par la Commission elle-même lorsqu’elle déclare que « les exploitations brésiliennes n’ont pas à tenir des registres de traitement et l’utilisation des médicaments vétérinaires n’est pas contrôlée. » Le poids commercial du Brésil ne présage donc rien de bon pour la santé des consommateurs européens.

Même problème avec les produits phytosanitaires : sur les près de 500 pesticides utilisés au Brésil ou en Argentine, près de 150 sont interdits en Europe en raison de leur dangerosité pour la santé des consommateurs. Pour ce qui est de la filière sucrière, 40 substances utilisées au Brésil pour la production de canne à sucre sont prohibées en Europe. Idem pour la culture du maïs : 80% des produits phytosanitaires utilisés dans le pays sont interdits en France. 

En matière d’écologie, l’hypocrisie atteint son paroxysme. On connaît la part grandissante du libre-échange dans les émissions de gaz à effet de serre. Les émissions intérieures ont chuté de 30 % en France entre 1998 et 2018, alors que les émissions importées se sont, elles, accrues de près de 80 % sur la même période. Par ailleurs, les données gouvernementales révèlent que 51% des émissions en France sont associées aux biens et services importés. Nous exigeons une rigueur et des efforts parfois insoutenables de la part de nos agriculteurs, nos producteurs, nos industriels, et de l’ensemble des Français au quotidien, alors que nous importons des produits qui sont beaucoup plus polluants et dangereux que ceux que nous produisons chez nous.

Notre souveraineté menacée

Selon un sondage Elabe, 76 % des Français sont opposés à l’accord avec le Mercosur et 81 % approuvent la mobilisation massive des agriculteurs en Europe. La volonté des Français est claire. Ils ont bien compris que ce bras de fer avec la Commission est une question de survie pour nos agriculteurs et notre industrie agro-alimentaire. L’Assemblée nationale s’est également prononcée contre l’accord. Ursula von der Leyen n’en a que faire.

Au-delà de la volonté populaire, c’est un autre type de souveraineté qui est en jeu : notre souveraineté alimentaire. Plus nous affaiblissons notre agriculture nourricière, plus nous affaiblissons notre nation en nous rendant dépendants des autres. La capacité de nourrir son peuple est, au-delà d’une collection inestimable de savoir-faire, une souveraineté absolument fondamentale, stratégique. 

Or, la tendance actuelle est à l’augmentation des importations, notamment intra-européennes, de fruits et légumes qui entrent en compétition avec nos producteurs locaux. La surtransposition française des normes européennes engendre des situations surréalistes : des producteurs belges vendent, à la frontière avec la France, les mêmes légumes que nos maraîchers pour bien moins cher. Nous imposons aux nôtres encore plus de contraintes que ne l’exige l’UE ! Paris crée une situation de concurrence déloyale entre nos producteurs et ceux du reste de l’Europe, tout en laissant prospérer la concurrence déloyale entre les producteurs européens et ceux du reste du monde. Le résultat est que nos agriculteurs, de surcroît écrasés de taxes, sont contraints de mettre la clef sous la porte… quand ils ne se suicident pas.

Les exportations agricoles françaises ont diminué de 15 % en 2023. Notre balance commerciale, déficitaire au sein de l’UE, reste certes positive avec le reste du monde, de 5,3 milliards d’euros, grâce, principalement, aux céréales (+ 7 milliards d’euros en 2023) ainsi qu’aux vins et spiritueux (+ 13,6 milliards d’euros en 2023). Mais notre excédent était de 11,9 milliards d’euros en 2011, et nos parts de marché à l’export sont passées de 7,5 % en 2000 à 4,5 % aujourd’hui. Deuxième exportateur mondial de produits agricoles au début des années 2000, la France est désormais au sixième rang, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. La concurrence avec les pays du Mercosur ne ferait qu’aggraver la situation. Produirons-nous encore dans quelques décennies assez pour nourrir les Français ?

Rien n’est joué

Le rejet du traité est encore possible. Le référendum ne peut suffire cette fois-ci : la politique commerciale étant une compétence exclusive de la Commission, celle-ci peut, si elle craint un échec, diviser l’accord en deux parties, l’une politique, l’autre commerciale. Les États n’auraient alors à se prononcer à l’unanimité que sur le volet politique, tandis que le volet commercial pourrait être adopté au Conseil européen avec une majorité qualifiée, c’est-à-dire au moins quinze pays représentant au moins 65% de la population de l’UE.

Cette majorité qualifiée serait beaucoup plus simple à obtenir que l’unanimité. Néanmoins, elle n’est pas garantie : la condition démographique est cruciale puisque France, Pologne, Autriche, Irlande et Pays-Bas, déjà engagés, n’auraient besoin que de l’appui de l’Italie pour enterrer le traité. Faisant un pas vers Paris et Varsovie, Rome a dénoncé en décembre un accord « déséquilibré et préjudiciable à l’agriculture européenne », exigeant plus de garanties pour les paysans. Mais l’Italie, qui doit concilier intérêts agricoles et industriels, ces derniers étant particulièrement importants en Amérique du Sud, hésite encore à s’engager fermement. 

Si le Conseil devait approuver l’accord, Paris garderait un levier majeur, une arme nucléaire que Paris n’a plus utilisée depuis le Général de Gaulle. En tant que deuxième contributrice nette au budget de l’UE, budget qui doit être approuvé à l’unanimité des États membres chaque année, la France peut choisir de bloquer, de tout bloquer, si elle n’obtient pas gain de cause. Paris a toujours détesté être isolée sur la scène européenne, mais la survie de notre agriculture pourrait être à ce prix.

Il ne s’agit pas d’une opposition de principe à tout traité commercial. Cependant, il est indispensable que tout traité garantisse une réciprocité dans l’application des normes, qu’il n’affaiblisse pas nos producteurs et ne mette pas en danger nos consommateurs ; ces conditions n’étant pas remplies, le bras de fer s’impose. Alors que la compétition mondiale devient plus féroce, les grands blocs et les nations défendant ouvertement leurs intérêts, il est impératif de mettre en place une préférence communautaire et des dispositifs protectionnistes incitant à la production et l’innovation, à l’instar d’exonérations fiscales, de subventions, ou de droits de douane. Ce n’est pas une chimère : à la surprise générale, la Commission a annoncé début février envisager d’introduire une préférence européenne pour les secteurs et technologies stratégiques, dans le cadre de la révision de la directive sur les marchés publics en 2026. Une révolution !

Conclusion

Bruxelles a jusqu’à présent toujours vu l’Union comme un vaste marché, sans frontières et sans identité. L’Europe n’aurait pas d’autre but que d’être le terrain de jeu d’une féroce compétition pour des prix bas. Cette vision strictement économique, qui fait fi des identités, de la souveraineté, de la puissance, creuse en parallèle sa propre tombe en écrasant nos producteurs de normes et de taxes. Mises face à cette concurrence déloyale organisée par nos propres dirigeants, nos entreprises ne peuvent faire face et nous risquons d’être définitivement déclassés. En voulant quoiqu’il en coûte des prix bas tout en empêchant la production et l’innovation sur notre sol, l’UE et nos nations nous condamnent à la pauvreté. Nous avions le même pouvoir d’achat qu’un Américain au début des années 2000 alors que nous sommes loin derrière aujourd’hui. Et cela ne fera qu’empirer si rien n’est fait.

Le sursaut est possible. Un vent de liberté souffle partout en Occident, incarné par Donald Trump et Javier Milei, qui défendent à la fois les libertés, y compris économiques, leurs valeurs de civilisation, leurs frontières, et leurs intérêts nationaux. C’est aussi vrai en Europe : notre alliée Giorgia Meloni a divisé par trois le nombre de clandestins débarquant en Italie ; elle a fait voter budget réduisant les impôts et l’assistanat ; elle a fait criminaliser la GPA et interdire la transcription à l’état civil des adoptions par des homosexuels ; elle défend l’Italie à Bruxelles et l’Europe dans le monde. 

Pendant ce temps, la France, engluée dans le socialisme mental et la haine de soi, est incapable de faire valoir nos intérêts ne serait-ce que face à la Commission, l’Algérie ou les Comores. Un renouveau conservateur, au service des libertés, des peuples et des identités, est nécessaire en France et en Europe. À nous de le construire.